dimanche, mai 08, 2011

Les chemins de guerre battue

On la savait fragile, cassante, mais on ne l’avait pas crue de verre ; on ne l’avait pas soupçonnée de fin verre friable, verre-de-grisée. Fallait la voir de douce brise onduler, de douceur obtempérer, de volonté acariâtre adopter le leurre méprisé de l’amour inventé débilement supprimé. Fallait la voir, mais elle pourtant qui n’était pas transparente, on y voyait au travers.

Découvrant un corps, recouvrant ces territoires ancestraux qu’elle réserve, ces terres de chasse traditionnelle abandonnées, dont elle ignore jusqu’aux plus simples lois. Ma toute réserve que je n’habiterai jamais, tu pleurais de désespoir. Ce n’était pas le chagrin de la solitude qui te secouait ; on n’a jamais vu de nomade si enracinée.

Troublée par l’invention d’un désir que jamais chez elle on n’avait suscité.

La pauvre d’un regard de fauve effarouchée, la douleur effrontée, de regretter son assentiment d’une langue irritée qui ne répond plus d’elle-même! Menée par une foi qui n’est pas le costume. Cherchant à s’enlever la vie des délicatesses incongrues, travaillant à s’estomper du monde pour percevoir la honte, cherchant pour me rappeler à elle les subterfuges, et troquer son cou contre mes lèvres, ses peaux contre un miroir.

Loin la piété chaste, loin le déshonneur frugal une première fois ; un sentier parcouru, l’habitude des raccourcis, routes barrées par des milices qu’on ignorait. Barricades insoupçonnées sur des chemins de guerre battue.

Ne sais-tu pas que devant toi je suis imberbe?

La tête dans le sable

Le voyant réapparaître au milieu d’une allée funèbre, je pris conscience qu’il avait, plusieurs minutes auparavant, déserté la scène de la mise en terre. On avait inhumé le corps dans un des meilleurs sols de la région, d’une terre noire de jais, riche, irriguée par la nappe phréatique dont on dit qu’elle est ici pure comme l’eau qui jaillit de la source à Saint-Jacques. On avait semé la défunte parmi d’autres cadavres dans ce terreau fertile comme habités de l’espoir qu’elle renaisse au printemps, bourgeonnante, promesse d’une vie à être reprise à chaque révolution.

Échappant à la foi douloureuse et mensongère de cette famille dont l’émoi en ce moment ne le concernait pas, ou si peu, par alliance seulement, il l’avait quittée momentanément pour aller errer plus loin au cœur du cimetière, là où il appartenait. Parmi les siens, tous les siens désormais sous terre, à quelques pâtés de pierres tombales d’où se trouvait endeuillée sa nouvelle belle-famille, il ressentit une vive jalousie mêlée de mépris. Ces gens dont la colonie était subtilement amputée, et amputée d’un membre qui les avait ces dernières années gênés par sa sénilité envahissante, pleuraient leur morte comme on pleure l’ablation d’un rein défectueux.

Lui n’avait depuis longtemps – il avait cessé de compter les années trente-cinq ans après l’effacement de ses proches – plus pour famille qu’une mère délirante et une sœur au tempérament mollasse dont le malaise social suggérait la déficience mentale pure et simple qu’elle se serait, au surplus, résignée à ne pas combattre.

Au cœur d’une allée de sapins Douglas bordée de monuments funéraires vivement éclairés par les rayons printaniers, il se fit la réflexion finement impertinente qu’il était tout aussi impertinent que ces lieux empreints de tristesse, de mort, soient peuplés d’arbres que l’on associe dans sa culture à une fête célébrant joyeusement la nativité. Lui-même sans plus de parenté susceptible de fêter l’événement, ni ascendance, ni descendance, se dit que la remarquable encyclopédie vivante du savoir inutile qu’il constituait, vieillissante au surcroit, n’avait possiblement plus de raison d’être ; qu’il n’y avait, si tant est qu’il y en eut jamais, plus de motif valable qu’il consomme, comme organisme vivant, la moindre ressource. Les sapins Douglas pouvaient croître en paix ; il n’en abattrait certainement aucun cette année, et irait bientôt rejoindre cela qui les nourrit.

La cérémonie terminée, tandis qu’il descendait l’allée pour nous rejoindre, son regard croisa le mien. Moi que la jeunesse ignorante de tout laissait imperturbable, inatteignable, je le soutins. Il s’embruma. Des larmes, régulières et lentes, rigolèrent sur son visage. J’en compris dès lors que je devrais me rire de la mort, sous peine qu’elle se fasse plus insolente que moi.

Personne ne profitera jamais de la vie qui croît sur nos tombes.

lundi, avril 25, 2011

gommés

Je suis encore tout gommé
de rhum      les yeux collés
à ton dos que      j'ignore
comme un homme
que tu paierais      plus fort
pour éteindre l'incendie
qu'autrement      tu aspires
à (grands coups) devenir
plus grande      plus belle      plus stone

J'ai fait de toi une putain
de      luxe dont j'ai pas les moyens
t'as mon drap gravé sur le flanc
de la colline contre laquelle j'hibernais
tu m'éveilles au printemps
comme on allume une lampe
j'suis même pas une lumière
et j'ai peur      de t'éteindre
quand je souffle dans ton cou
toi t'as soufflé mon être.

Reste là, rendors-toi, j'irai pas
travailler      d'autres femmes
après toi      je suis vierge      de désir
t'as épousé le pire
                   / des_espoirs
pense pas à me sourire
songe même pas à t'ouvrir
un oeil      balaye mon cafard
sous le tapis      git mon corps
Rendors-toi j'ai pas envie
                   / de mourir

                   Tu transpires
quelques gouttes      de bonheur
longent ma vicissitude
pose pas ton pied au sol
fais-moi      ton habitude
est d'allonger      les heures
ont faussé ma boussole
emmène-moi vers le Sud
j'vais faire ça vite
                / j'ai pas prévu mourir vieux.

lundi, février 28, 2011

Nowhere.

J'ai pris le transport en commun pour partir sur un nowhere. C'est exactement là que je me suis retrouvé : nulle part. Rien, personne autour. Que moi, sur une plage en neige blanche, les poches vides. Le coeur pas beaucoup plus plein. Pas d'actif. Pas de passif non plus -- enfin, je ne crois pas. Enfin, j'essaie de ne pas croire ça.

À mes pieds, le fleuve, qui à cet endroit ne s'agitait pas. À peine une démarcation entre la neige mouillée par les flots, et la neige sèche comme des flocons de plastique qui ne fondraient pas entre mes mains. Dans le froid, la démarcation entre l'humide et le sec se perd, disparaît. Je me rappelle cette idée qui m'est venue : il en va de même des sentiments. Entre l'humidité moite d'un corps chaud, d'un corps fiévreux d'amour comme de haine, et un corps asséché, un visage desséché par le temps où ne s'amoncelle plus dans ces mêmes rigoles que la poussière des tempêtes de sable que l'on affronte au quotidien, il n'y a pas de frontière. Il n'y a pas de date de péremption sur nos coeurs, on ne nous avertit pas qu'on aura été «meilleur avant» pour aimer, pour vivre.

Aux lèvres, que ces mots de Léveillé : « Après la vie t'as bouffé comme elle bouffe tout l'monde ». Impossible de déterminer après quoi. On sait que c'est après parce qu'on sait bien qu'avant, « dans l'temps », c'était autre chose. Nous savons cela, mais nous avons oublié comment ça s'est passé. Nous avons dans la bouche le goût du sable et les grains qui craquent sous nos dents, les yeux qui ruissellent à sec, le visage brun. Beige. On devient beiges. À force d'affronter des tempêtes qui n'en sont pas. Des tempêtes qui nous fouettent juste parce qu'on oublie de fermer les yeux, juste parce qu'on oublie de lâcher l'accélérateur pour douze, treize ou vingt-sept secondes.

Et puis on parle de torrents, de tornades, de tsunamis, d'avalanches. Tout s'écroule. Tout fout le camp. Ça m'a frappé. J'ai chaviré. Je capote. Nos petites fins du monde personnelles et quotidiennes nous assaillent, comme si nous avions véritablement fait le choix, un jour, de nous battre. Comme s'il était toujours nécessaire de nous déchirer à coup de d'hyperboles, à coup de violences lexicales. Comme si tous les matins devant le computer nous croisions l'épée, et pas seulement nos jambes.

J'ai pris le transport en commun pour partir sur un nowhere. C'est exactement là que je me suis retrouvé : nulle part. Je ne peux pas dire si j'y étais bien ou mal, mais je sais que derrière moi la neige qui tombait recouvrait mes pas, effaçait, déjà, la distance que j'avais parcouru.

lundi, août 03, 2009

Déjà la lumière d'août, qui préfigure presque malgré elle les éclats de septembre, plus jaunes, plus inclinés. Le bleu du ciel, déjà, pourrait vouloir foncer.

Et le bleu du matin d'hiver tout enfloconné me manque.

dimanche, juillet 26, 2009

Souder les foudres

Grande Allée un samedi matin. Ça boume encore sous le ciel d'étoiles fictives. Des corps en sueur, mi-nus sur le linoléum battu. Tes rayons s'expriment en faisceaux larges et tu trembles dans l'eau froide et la brise des haut-parleurs. J'ai la tête enserrée d'un ruban blanc, mon regard erre au ciel par-delà le manteau d'effroi lumineux. Des rigoles le long des plaines astrales; on n'imaginait pas tant de reliefs à l'exil.

Cela baigne, cela nage. Chacun s'invente son propre bain de solitude. La ratine sur le lino, imbibée, vautrée dans le jus d'existence. Déchet. Rebut. Tu t'imprègnes de l'ère. Je me saoule à la honte maîtrisée. Nous battons le rythme en éclaboussures.

De lin, de denim dévêtus; nous sommes tous de sombres orages silencieux. Les déjections tempêtent, burlesques. Coupez l'alimentation. Disjonctez les circuits, délabrez le décor, laissez la plaie suppurer; les pleurs rejoindre la sueur; l'eau-de-vie, la mort aux rats.

Nous panserons demain Grande Allée, et mutilerons nos corps. La soudure éclatera, ce sera notre baume.

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encore un qui a l'air d'une scène de sexe. Mais non! refaites vos devoirs, c'est pas de ça que je cause!

Sans manifestation

Pleure, Wurlitzer!
Pleure, tu n'en larmoieras guère.


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Ha! Ha!
C'est si niais que j'en pleure aussi!

vingt-six zéro sept

un chapeau gris sur des rouages encrassés
la terre vivote dans son aquarium
Salinger nous économise
on lui chante des odes

Au gérondif, on croirait
en balayant les nuages les regards la foule
Un brouillard ne se dissipe jamais
Cela me deut que cela me deule

Mars est en jupiter
Je suis en calvaire

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nda: je le laisse parce que je ne peux m'empêcher de trouver ça drôle d'avoir écrit ça. Mais on dirait «je suis en calvaire» comme «je suis en colère», alors que c'est plutôt de la butte des crucifiés dont il est question. Quoi qu'il en soit, c'est un mauvais texte. Mais ça ne sera pas le dernier!

jeudi, juillet 23, 2009

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samedi, juillet 04, 2009

Exit. 4

Tu sais pas
L’irrésistible chaos
L’univers clos qui nous sous-tend
L’infinité de l’orient quand les samuraï dansent
Autour du bûcher de Salem
Et les patriotes qui frappent leur gong
En traçant des hiéroglyphes
Tu sais pas,
tu sais rien de tout ça


Tu sais pas
Lorsque la casbah s’écroule
Sur la tête des jésuites
Qui nous menacent d’une vérité cuite
Au bouillon sous la crémaillère
Les couleurs de l’aurore boréale
Sur le ciel d’ambre calcinée
Tu sais pas,
tu sais rien de tout ça


Tu sais pas
Les rigoles le long de tes propres omoplates
Que font rougir les baisers désinventés
Que j’exerce tous les soirs en rêvant de goulags
Où me perdre avec toi

Tu sais pas
Tu sais rien de tout ça.

Wanna quit?
C’est par là.

vendredi, juillet 03, 2009

Exit. 3

Tu sais pas
Combien la douceur est abjecte
Et la redondance de la luxure
Et l’abondance que j’objecte
Et les regards de l’usure
Et la peau doucereuse qui s’éprend
Et ton corps qui ruisselle
Et ta paix, et ton doute de polichinelle

Tu sais pas l’ennui
Du regard des épris
Des hameçons que tu me harponnes dans la gueule
En me faisant une fleur comme un bouffon ferait de ses caoutchoucs

Tu sais pas l’abandon
Comme il me désole
Comme la simplicité est mordante
Chaque fois que tes yeux ne me percent pas
Et que rien de toi ne me touche que ton sexe
Et la pâmoison qui détrempe les draps,
Les vicissitudes dans l’air où tu me crois vicieux
Des éperviers revanchards

Tu sais pas.
Tu sais rien.
Opiniâtre inculture
T’as les yeux pleins
Et moi le cœur vide
Tu baves, tu craques, tu chancelles
Et tu rigoles d’être belle
Mais comme tu es laide au fond
Là où l’on sombre si tôt.

Tu sais pas
Tu sais rien de tout ça

Wanna quit?
C'est par là.

jeudi, juillet 02, 2009

Dansité

On dit que je suis dense. Moi je dis que je danse. L’un et l’autre sont faux. Si le rapport massique d’un être, ou de son propos, si seulement on savait bien le soupeser, entretient quelque corrélation avec la matière brute qu’il contient, si le mouvement d’un corps inerte dans l’espace est aucunement rattaché à l’expression, brute aussi, de cette matière; si, encore, la lettre – elle seule – qui distingue un concept d’une vie, un phénomène, d’une expression de vie, la contention, de l’incontinence, n’est en fait qu’un seul caractère, qui prétend à s’élever plutôt qu’à s’affaisser, rien ne nous autoriserait pour autant à en faire un critère discriminant, entre l’un, et l’autre.

Lourd? Dense? De l’ordre de ce qui nous surprend quand nous essayons d’y prendre prise. Une caisse de livres. Une caisse vide. Un caisson. Une encavure. Une alcôve. Un chien qui s’y réfugie. Un bouvier bernois, blessé. Qu’a-t-il? Je ne sais. Pas. Du sang. Du sang de chien, chaud, qui s’écoule, laissait une trace, sur le sol, à chaque pas qu’il a fait pour aller se recroqueviller, sans pleurnicher, dans un terrier inventé. Sang qui croûte sur son poil. Un peu de lui qui existera là, jusqu’à ce que la pluie le délave, là sur le sol qu’il a foulé. C’est une partie de son existence, qui s’étend, du lieu de la blessure jusqu’au nid de sa mort.

Ce ne sont pas tant d’indices de son passage, tant de salissures sur le monde aseptisé qu’il arpente, ce sont, chacune de ces souillures de sang, chaud, puis froid, ce sont des témoignages. C’est la matière dont il était constitué qu’il laisse derrière lui, qu’il répand sur le monde. Avant de s’en éclipser. On verrait, çà sur le trottoir, un rein, là devant une porte, une canine, ici, sur votre pied, son cœur, il en serait la même chose : un bouvier bernois qui meurt.

Une pièce de casse tête laissée à l’abandon sur le tapis, ou une autre pièce déchiquetée, retrouvée en poussière dans un cendrier, ça demeure un morceau manquant, une tuile arrachée, un pixel noir sur l’image.

Au chien, dans l’alcôve, il manque des tuiles. Est-il moins canin tant qu’il n’en meurt pas? Et s’il crève au bout de son sang, on n’en dira pas moins de son cadavre que c’est un chien. Mort.

Ainsi je crois que l’on meurt peu à peu. Que l’on perd du sang, témoignage de chaque souffrance, tout au long de la vie. Que les pièces, une à une, sont perdues et nous demeurons des casse-têtes aussi longtemps que l’on reconnaît une image. Après quoi nous dirons « c’était un puzzle ». De certains, un peu plus fortunés, « c’était un joli puzzle ».

-- Un sale casse-tête, ce mec. Ça m’a pris des jours pour parvenir à le faire. Maintenant il est trop incomplet.

Dense? Lourd? Ce qui contient beaucoup. Une image impressionniste, toujours, aux couleurs innombrables. L’impression d’un relief, et quelques faux-semblants. Le chien dans l’alcôve est-il mort? Le voit-on respirer, le perçoit-on remuer, de douleur, la queue, bouger une patte de derrière? L’entend-on râler, tandis que la mare de sang dans laquelle il baigne s’étend. Se densifie.

Inutile, désormais, de lui apporter quelque soin. Sans objet. Caduc. Un peu de tempérance, peut-être, pour alléger sa souffrance, un départ. Vainement. Toutefois nous pourrions, un court moment, ou pour des années, ou jamais, danser. Danser pour lui, danser pour nous. Tanguer sur la houle qui se forme à la surface d’un océan de sang noir.

lundi, juin 29, 2009

Bombs over a blue shelter

J’ai eu envie de t’écrire une longue lettre pathétique. Ce sera la seule. Parce que les motifs de le faire ne sont pas illimités, parce que tes raisons de la lire, elles, le seront, et ton envie de lire ira décroissant. La lecture ira s’accélérant, et tu perdras l’essence du propos. Tu chercheras la signification profonde trop profondément, et capteras les évidences trop superficiellement. C’est normal. J’ai déjà écrit avant, mais surtout j’ai déjà lu, suffisamment de ces écurages de vieilles veines. Pour savoir.
Pour savoir que les grands ménages font toujours ressurgir la vieille poussière, qu’il ne vaut rien mieux récurer que pour trouver plus crasse qu’on ne savait exister, et j’ai en horreur l’humiliation de l’habitation/la maison/chez soi/dedans/son intérieur malpropre. Alors on n’invite qu’une seule fois les gens et on les invite à garder leurs chaussures par surcroit. Qu’ils souillent à leur aise et à leur convenance, eux ne reviendront pas en ces lieux. N’est-ce pas s’éviter le risque qu’ils perçoivent une fois prochaine. Cette boue qu’ils avaient laissée là, malencontreusement. Près du pot à parapluies. Là où toi moi d’autres qu’importe oublions toujours de nettoyer. Alors la prochaine fois, tu ne verras que le paillasson. Cette lettre est unique.
Pourquoi seulement est-elle?
Va savoir ce qui se tramait chez les ancestraux, toi. S’il « bâtit des villes », l’homme n’avait – naïve jeunesse! – pas dans l’esprit que de faire la guerre. Ni, je crois, ni que d’y pallier; nous savons ce qu’il en est de sa sociabilité, celle-là qu’il invente et désinvente à chaque étrange qui sonne la cloche au portillon de la cité.
La maison, la cité, l’Abitation de Jacques, ce sont tous les mêmes intérieurs, tous les mêmes espaces privés où l’on entre sans se déchausser. Le contact de la plante du pied aux sols prochains peut être immonde. Gardons une petite gêne.
Pourtant, dis-moi, quand saurions-nous prévenir de nous immiscer dans ces villas, ces taudis, quand tolérerions-nous de ne pas nous vouloir hôte des grands voyageurs? Tu as parcouru plus de Terre que moi; les portes ouvertes ne sont-elles pas plus fréquentes que les portes fermées? Qui, et pour quelles raisons, t’aurait refusé l’hospitalité à Reykjavík ou à Xian Shan? Même les grandes barricades ont eu des portes ornementées, où se tenait un huissier, une sœur portière, disposés dans l’attente de visiteurs. L’huis clos est une vue de l’esprit existentialiste, rarement une vérité.
La vérité, ce serait sans doute plutôt que nous disposons des portes pour qu’elles soient franchies, que nous érigeons des murs pour qu’ils soient mitoyens, que nous perçons des fenêtres pour qu’elles aient vis-à-vis et pour limiter les jours de souffrance.
Tu peux croire en cette lettre comme un indice de grégarité, une porte entrouverte sur un abri de fortune. C’est une jolie bâche bleue piquée aux quatre coins sur des poutres hasardeuses, exposant tout aux grands vents comme à la brise doucereuse de juin, et la pluie ruisselle aujourd’hui le long des câbles d’arrimage. Difficile de décider ce qu’est la porte, ce que sont les ouvertures, pourtant j’ai balayé la terre battue…
Je ne connais pas ta demeure. Toutefois j’ai rencontré au hasard des balcons un architecte de ton trouble. Nos pénates présentent ces jours-ci quelque similarité. Rien n’est plus commun, pourras-tu dire, qu’un toit qui coule. Suffirait d’enserrer la scène dans des manteaux d’Arlequin, que rien n’y paraisse.
* * *
Je t’entends d’ici, et je projette le regard. « Câline, y’est ben intense, lui! » Je souris de cela. Je choisis le camp du divertissement, là où les funambules ne font que filer sans jamais proposer de tension au public. De tendue, n’y a que la longue corde sous leurs pieds, qui les mènera d’une tourelle à une autre, d’un coin du chapiteau, à un autre, parce que c’est ainsi que le spectacle est orchestré. Ce sont les Shriners sans lions, Eloize sans Finzi Pasca, du Soleil sans génie, sans eau et sans SSI.
Donc je souris du regard que je t’imagine. Il faut savoir ranger les Polichinelle et autres virulents Guignol, ne pas toujours doubler l’ironie du hasard de l’ire honnie des hommes. Moi qui rêvais d’être Lélio, le beau niais amoureux, subtilement drôle et délicatement colérique ; s’il faut encore que je me rebiffe de ne l’être pas, n’insistons pas sur le fait qu’il a l’Isabella pour amoureuse.
Cette tradition, c’est d’une amertume sans borne, de quoi se lancer en bas des planches, pourfendre les rieurs agglutinés, les pourfendre collectivement aussi bien qu’individuellement. Parce qu’on les honnit qu’on les exècre qu’ils nous font la vie dure, et qu’il y a des écrans partout, pour nous relancer au visage l’image du rire, en surimpression sur les rushs pour vrai, sincères, honnêtes, mieux joués, des acteurs de soutien. Les reportages montrent toujours les rieurs plus longtemps que les marionnettes. On préfère la réaction à l’action.
Heureusement les ficelles, la croix, les marionnettistes ou le directeur qui nous soumettent. Heureusement le rideau, et tout ce code avec les parisiennes et le cyclorama. De quoi encadrer l’action.
Heureusement, en toute chose, les limites, celles qu’on sait franchir, celles qu’on ne peut. Il y a des lointains qu’on ne sait pouvoir outrepasser, et l’on sait enfreindre quelque foi le cas échéant. Il faut savoir quand l’action devient plus immense qu’elle-même.
* * *
Je me suis entendu hors-champ ces derniers jours. Et des échos de toi. Ta voix contre les murs des autres, parce que je suis à horizon ouvert, sous la bâche. Retentissements de petites maladies mentales qui happent la théière, la font vibrer, et les ronds dans l’eau. Ciel et nuages qui y flottent, vent froid, vent chaud. Les voisins de couverture mexicaine qui papotent Star Ac’ sur le bord de l’étang factice.
Ha! Voilà : on s’en fiche. S’en fout. C’est de l’halluciné. Relève du halo de lumière que provoque un projecteur à contre-jour. Aveuglés, nous voyons bien ce que nous voulons. Ou rien, et c’est du pareil au même.
Ça n’empêche pas de cligner des yeux, de plisser le front, de détourner le regard, d’être surpris, pincé, d’être sensible au cinérama de l’esprit. Tout bouge, tout le temps, trop vite ou trop peu. Que les larmes pour se mouvoir hors du temps, parce qu’elles creusent des sillons, sur lesquels on bâtit des ponts. Parfois.
Attends! je ne suis aucun apôtre de la fraternité dans la déception. Je te dis fantoches et chapiteaux, comme on demande « ça va? » une première fois. C’est purement phatique. Pour ça que je demande toujours deux fois. Savoir les murs des autres, savoir naviguer entre et au travers d’eux.
N’est pas faux de dire que je suis sans cloisons, sans murs. Malgré ce que tu crois, malgré ce que tout le monde croit. Mais le périmètre de la toile bleue est un no trespassing border. Au-delà, ce serait le no man’s land. Mais combien de plans d’architecture as-tu vu entièrement respectés? Et les plans d’urbanisme, à la guerre?
Quand les lieux connus explosent, qu’on tire à bout portant sur les installations bringuebalantes temporaires que nous avons nous-mêmes érigées, parce qu’elles ne conviennent plus, qu’elles sont occupées par la mauvaise personne.
Les populations envahies se dérobent, se désistent, disparaissent. Ce n’est pas exactement capituler. Aucune arme n’est posée au sol sous un linceul récupéré pour en faire un drapeau, blanc. Ceux-là sont toujours des drapeaux entachés, de toute manière. Non, c’est plutôt s’éloigner, occuper un autre quartier de la ville, dont les fenêtres ne sont pas toutes éclatées encore, où il reste des édifices, où le béton n’est pas tout fissuré, où les linteaux indiquent encore qu’il y a peu prenait vie le quotidien de citoyens ordinaires.
Et de là, lancer des grenades. Sauter les camps de fortune précédents. Dérober à cette famille leur mère. À ce régiment leur régent. Maraudeur de bas niveau qui lutte pour survivre.
Il n’y a pas de plan qui vaille dans ces circonstances, bien qu’on essaie.
Il suffisait de voir qu’on avait prévu un no man’s land. Que le camp de fortune était peut-être un slum à lui seul. À moi seul. Me suis poussé, lorsqu’on a voulu m’y joindre.
* * *
As-tu vu ma nouvelle demeure, Florence? Toute de pierres à l’extérieur. C’est grand, c’est beau. Y’a pas l’électricité, mais on fait avec. Je sais, je sais, la guerre n’est pas terminée. Je vais attendre avant de changer les carreaux brisés, devant.
Tu as vu, sur le linteau? C’était une bibliothèque, avant. J’ai mis beaucoup de livres dans le hall du rez-de-chaussée. Je voulais disposer d’un peu plus d’espace… habitable, disons. Mais en haut, je n’ai touché à rien. Les rayons sont là. Le soir, je lis Marguerite. Son mari a eu beau être un con, elle, je l’aime bien. Ou des trucs plus récents. Ça ne fait vraisemblablement pas si longtemps que les bibliothécaires se sont poussés. Quand même, ils sont partis avant que je n’arrive. C’est-à-dire que… enfin… J’étais là, mais ils ne savaient pas véritablement.
Je sais, ce n’est pas exactement chez moi. Pas exactement accueillant non plus. Mais ça nous change de la bâche bleue. Un peu de brise qui filtre, mais c’est quand même moins exposé. Je l’ai gardée, tu sais. La bâche. Elle est pliée dans la petite voûte, derrière. On ne se sépare pas si facilement des artéfacts de la guerre.
Je ne sais pas si ça finira un jour. Quand c’est trop lourd, j’essaie de me remémorer le cirque. Avec un peu d’imagination, les bombes rappellent le gong et la pyrotechnie.
Tu veux un thé?

lundi, juin 15, 2009

Les étoiles s'alignent peu souvent, quoi qu'on en dira. Le temps fait-il bien les choses, qu'il les défera aussitôt et qu'il faudra encore accepter qu'il en soit ainsi (amen) bien que cela fut souffrant. Qu'y a-t-il à faire de la douleur et de l'exécration? Qu'y a-t-il encore à faire de l'adversité, de la fraternité ternie ou de l'amour désolé?

Le temps fait les choses, à ce que l'on dit, et Florence n'y sera jamais pour rien. Elle parcourt la vie aujourd'hui, comme je parcours les rues à faire la bise à des inconnus, et regretterai de n'avoir pas, sur mes joues, la trace féconde de ses lèvres ou de sa joue, car Florence est libre, d'une liberté légère et délicate, d'une assurance, pourtant, forte et de conséquence.

Comme j'aimerais avoir maintenant le courage de la côtoyer, la force douce, et la tranquille conscience de dérober au désespoir un seul regard empreint du désir le plus subtil qui soit, de la seule envie que nous partagions....

... une vulgaire poutine avec ou sans sauce.

mardi, juin 09, 2009

Florence et la neige? Mnémonique, premier essai.

trois ans de désertion. trois années de rumeurs. tergiversations infécondes. ce soir, cette nuit, maintenant. je me retrouve. j'emmerde à nouveau l'amour. j'aime encore la douleur. il y a encore à dire. il y a encore à apprendre à dire. il y a trop à vivre comme hier. seulement il y a presque trop vécu déjà. cinq ans depuis le départ. quatre année faite depuis l'autre départ. le poids du temps. je n'aime toujours pas les vieilles personnes tristes. je sais maintenant pourquoi. Cela suffit à faire de moi une vieille personne triste. n'eut été de cette connaissance, je serais encore un adolescent, peut-être. sans doute. on ne se sait jamais vraiment.

Il y a trois ans, j'écoutais la même musique que j'écoute à l'instant. Le hasard l'a peut-être voulu, ou c'est peut-être moi qui l'ai souhaité, voire organisé. on ne se sait jamais précisément. De même, cet air populaire qui me file au creux du conduit auditif : je doute que je l'entende différemment d'il y a trois quatre cinq ans. Toutes ces années.

Je revois pourtant le soleil du petit matin, chaud. Le mois de septembre. Dans la cuisine flottent des nuées d'une chaleur de hangover, alors que j'étais pourtant à jeun jusque là. il est à peine sept heures quinze ou quelque chose de similaire. les fenêtres coulissantes sont ouvertes. À cette époque, Florence et moi n'avons peint des rayures -- différents ton de turquoise-opale-bleu-vert -- que sur un mur. Ma nouvelle cafetière est programmable. Je peux préparer le café le soir, et il me la coule douce au matin. Je bois toujours le précieux liquide chaud dans les tasses multicolores que m'a données grand-maman. Je dis multicolores, mais elles sont loin d'une séquence arc-en-ciel. Rouge, bleu, brun, orange, vert, et une autre teinte de bleu. Quelque chose comme ça. J'ai les assiettes assorties.

Dans le matin de soleil orangé, même si les matins sont salement engourdis, j'adore m'installer à la table de la cuisine, que j'ai bricolée moi-même, et regarder la vie commencer d'exister derrière les stores en bambou roulés. J'éprouve étrangement moins de plaisir aujourd'hui à voir le monde commencer de s'éveiller. Peut-être c'est un peu plus d'indifférence. Peut-être c'est la trace du temps.

Comme quand, quelques mois plus tard, ça ne me faisait plus rien. Tout ça. La vie. La politique. La communication. Ce sur quoi j'avais misé jusque là, et qui me permettait de croire à la vie. Un jour, ça n'a plus voulu rien dire. J'avais commencé à mettre davantage de rayures sur les murs de la cuisine. Florence avait même eu peur de mon sale caractère, un jour où j'enduisais les longs corridors verticaux formés de ruban-cache de peinture vert-bleu-opale-turquoise-grisâtre. J'avais commencé d'être élimé. Rongé par le temps. Par ma propre petite vie de merde.

Souvenir d'un début de soirée. les lampes sont allumées devant les stores de bambou roulés. On avait mis deux petites lampes qui provenaient de chez IKEA. une devant chacune des fenêtres. Ça donnait du style. L'éclairage était au tungstène, très très doux. Derrière, la neige tombait. La chaleur fuyait la cuisine par les fenêtres grand ouvertes. Et elle était immédiatement remplacée par une chaleur toute neuve que produisaient les radiateurs fous de notre grand appartement, à Florence et à moi.

Nous y habitions en colocataires, même si on couchait fréquemment ensemble. Je faisais semblant de ne pas l'aimer alors que j'en étais follement amoureux. Follement, c'est le mot : elle me rendait complètement fou. Elle s'agrippait à vous comme un lierre à une roche. Ou pire encore. Elle voulait qu'on l'aime. Trop. Et j'étais jeune. Et j'étais niais. Et j'avais peur. Mais ce dernier point n'a pas changé.

J'aimais faire l'amour avec elle. Florence dégageait une énergie similaire à celle des radiateurs. Constamment régénérée. Il fallait décidément ouvrir les fenêtres. Celles de sa chambre étaient entrouvertes. Les miennes, au maximum. Faut y voir un extrémisme de ma part. Ou reconnaître qu'elle était frileuse. À bien des égards, d'ailleurs.

Le lendemain d'un de nos ébats, qui avaient tous en commun de n'en plus finir, bien qu'ils fussent somme toutes un peu rares, je fixais les lampes IKEA devant les stores en bambou roulés, signés IKEA également. la neige, dehors. De gros flocons tombaient entre nos fenêtres et les réverbères qui projetaient une lumière plus orangée que le soleil encore. Étrangement, je ne sais plus si de la musique jouait. Il y avait souvent de la musique, dans notre appartement. Souvent une musique douce, et chaleureuse. Conjuguée à la chaleur également douce des pièces, aux couleurs suaves des murs, pour autant que des couleurs puissent être suaves, à la richesse des meubles antiques, à notre envie commune de tout prendre de la vie, nos musiques contribuaient à nous donner l'impression d'être deux merveilleux bourgeois installés là pour une vie de délices, dans un décor à la juste hauteur de nos espoirs tout jeunes.

C'est depuis ce soir, précisément, je crois, que je ne peux plus voir tomber de gros flocons au crépuscule, sans un pincement dans l'abdomen. sans un vide qui se forme en moi, sous la peau, la cage thoracique, le peu de muscles qui s'entremêlent à tout cela et sans doute quelques litres de sang... et je me demande chaque fois quel organe parmi cet enchevêtrement de fibres humaines se serre quand je vois des putains de flocons de neige.

Florence n'est pas rentrée, ce soir là. Nous avions baisé comme des dieux, la veille. Ou peut-être je n'en avais que rêvé. À cette époque là, je savais encore avoir chaud. C'est quand même amusant, parce qu'on dirait que j'ai oublié comment faire, maintenant. Aujourd'hui, il faut un peu de whisky. Ou de ce qu'il y a comme spécial au Verre du coin. Il fait toujours froid à notre époque. C'est ce que devait nous apporter le vingt-et-unième siècle, mais nous n'en avions pas encore véritablement pris conscience. Ou peut-être encore est-ce parce que les corps et les radiateurs s'épuisent à force de produire de la chaleur. Quoi qu'il en soit...

J'avais longuement observé la scène de l'autre bout de notre petite cuisine. Je veux dire, la fenêtre, la neige, et la lumière qui s'y mêlait. Il y a de ces moments où l'on se sent exister, en même temps que le monde s'écroule sans qu'on ne le sache précisément. Mais on s'en doute. Il n'y a pas besoin de voir la neige s'accumuler au sol pour savoir que la rue Linton se drape d'une couverture orangée de lumière et de neige. Il n'y a pas besoin de voir le vit entrer dans Florence pour pressentir que l'amour tire à sa fin. Il est indifférent de savoir que Jérôme ou Maxime ou Nicolas s'enfonce dans mon amour pour rester là à regarder une pièce en sachant que quelque chose en moi se rompt, en elle, se rompt.

J'avais mis mon vieux manteau noir, celui avec les poches surpiquées, et très usées. je n'avais pas de baladeur, à l'époque; la musique était réservée à la chaleur de notre logis. Du moins, c'est ce que je croyais. J’avais enfilé cette espèce de redingote bizarre et j’étais sorti parmi les flocons virevoltant. Sous le prétexte de me rendre au supermarché, j’imagine. J’ai souvenir d’avoir pris tous les détours imaginables pour ne pas rentrer. Sachets de plastique aux mains gercées par le froid, le vent, la neige qui fondait sur mes doigts qui se meurtrissaient. J’ai la peau sensible et mes jointures craquent au froid. Littéralement. Les petits sillons qui se forment entre les pores de peau sont toujours croûtés de sang sur la surface extérieure de mes mains. Apparemment, il faudrait que je voie un dermatologue pour ça. C’est ce qu’on me dit.

Lorsque j’étais rentré, transi, gercé, engourdi par le froid du soir, mouillé par la neige qui m’avait fondu dessus, Florence écoutait Sinatra. Strangers in the night. Assise au salon. Un cœur de poire sur le verre de la table du salon. Elle avait la sale habitude de laisser traîner des cœurs de fruits partout. Et ça laissait des cernes, ça collait. L’hiver, les radiateurs et leurs radiations s’occupaient de sécher tout ça. L’été, quand c’était le moindrement humide, ça puait la putréfaction.

Il devait bien être vingt-trois heures. Le voisin du dessous n’allait pas tarder à monter en titubant pour nous dire de baisser la musique, après avoir administré à son plafond de grands coups de balai. Il était très friand de cette petite routine que nous avions, lui et nous. Je crois que ça l’occupait bien, au fond, de venir nous dire qu’il essayait de dormir, lui dont le téléviseur projetait toujours sur les toiles des fenêtres sa lumière bleuâtre jusqu’aux petites heures du matin, et que nous entendions ronfler jusqu’à midi tous les jours. Ça devait le réconforter d’avoir quelqu’un à engueuler à sa convenance.

J’ai appuyé sur le bouton d’arrêt de la platine. Florence m’a dit d’un ton empreint d’une fierté calme, d’une satisfaction pleine, qu’elle était heureuse. « Je suis heureuse, elle m’a dit, j’ai fait quelque chose aujourd’hui que je voulais faire depuis longtemps ». Elle avait, d’aussi loin que je la connaissais, toujours eu cette propension à formuler des phrases d’un construit impeccable, et à les prononcer d’une manière tout aussi impeccable, en n’omettant aucune syllabe. Elle était assez formidable. Entre autre parce qu’elle intercalait souvent entre les noms et les subordonnées relatives plein d’adverbes, voire de verbes. C’est d’elle qui le faisait à répétition que j’ai moi-même pris cette tournure.

Je me devais forcément être heureux pour elle, car c’était une loi tacite entre nous que nous devions être heureux l’un pour l’autre. Elle m’aurait blâmé du contraire, et je lui pardonnais cette façon d’être qui peut parfois devenir irritante, je ne le nie pas. Plus maintenant. « Je suis heureuse, Jean-Philippe, parce que j’ai connu quelque chose de nouveau. »

Un plus un, fait deux. Je l’ai regardée, désemparé. J’aurais aimé lui hurler au visage qu’elle n’avait pas le droit. Que j’étais là pour elle. J’étais fixé sur place, debout au centre du salon. Mes yeux étaient rivés sur son épaule gauche, qu’elle avait la manie de relever presque à la hauteur de son oreille. En fait, elle était toujours assise dans de drôles de positions, qui permettaient ce genre de posture relativement étrange. Je n’ai rien répondu. Elle a continué, mais je ne sais plus ce qu’elle a dit. Je ne sais plus si, à ce moment, je l’écoutais encore. J’ai remarqué une tache sur le bras gauche du divan, juste sous son bras à elle. Puis j’ai fixé le vide, ou quelque chose qui se situait à proximité de l’immense vide qu’elle avait créé remarquablement vite entre nous.

Florence n’était plus à moi, si peu l’eut-elle été jusque là. Elle n’avait connu, avant moi, aucun homme. Des garçons, certes. De ceux qui embrassent en enfonçant la langue et en la tournant dans la bouche des filles, davantage pour cause d’une foi infinie en ce que disaient les magazines pour ados que par réel plaisir. De ceux qui encore empoignent un sein naissant avec la vigueur d’un bambin qui enfonce une main dans son gâteau d’anniversaire, en croyant faire naître de leur geste le désir de la femme en devenir qu’ils triturent ainsi. De ceux-là, elle en avait bien connu trois ou quatre. (Et je passe outre ses expériences plus signifiantes qui n’avaient pas tout à fait été réalisées avec des mâles…) Mais d’hommes, jamais. Je ne me compte pas dans l’équation, ici, car malgré tout l’amour que nous nous étions porté jusque là, et en dépit de mes rêves érotiques éveillés, et des siens, et malgré même que j’aie pu moi-même maladroitement enfoncer ma main dans le gâteau d’anniversaire, sous le couvert de mon inattention ou le prétexte de vouloir attraper une étoile d’anis qui volait du mortier, notre relation était assez platonique. Jamais rien entre nous n’avait été explicitement sexuel, pas même un baiser. Nous avions, par pudeur peut-être, préféré nous en tenir à la frontière des états. Faire l'amour, baiser, ça voulait dire autre chose, pour nous. Je ne sais pas exactement quoi. Peut-être ne sait-on jamais.

Cela ne m’empêchait pas de considérer comme une haute trahison le nouvel état du monde, tel qu’elle l’avait redéfini ce soir là, tandis que je regardais le ciel de la rue Linton décharger son balcon des flocons de neige qui l’engorgeaient.

Je me suis assis près d’elle. Contre elle. Je me suis dit qu’il faudrait housser le divan blanc, maintenant qu’il était taché sur le bras gauche. J’ai, pour la première fois de ma vie, posé ma main sur sa cuisse, trop haut sur sa cuisse. Elle m’a regardé, m’a souri délicatement, ses yeux reflétant la lumière de la lampe en forme de bouquet de fleur posé sur une table à l’autre bout de la pièce – ou cette lumière émanait-elle de son propre corps ? – et m’a souhaité une belle nuit. Elle s’est levée, puis s’est dirigée vers sa chambre.

Avec le recul, je sais aujourd’hui que c’est seulement ce soir-là que se justifiait réellement la folle dépense que représentait la location d’un quatre pièces. Nous avions dormi dans le même lit la majorité du temps. Elle avait l’habitude, que j’ai même parfois jugée fâcheuse, de venir se vautrer dans mon lit au moment où je cherchais le sommeil, presque tous les soirs. Or, était-ce cette neige de novembre ? il me paraissait maintenant légitime qu’elle ait son espace et moi le mien. Légitime et impératif.

Elle a dû s’endormir en douceur. Quant à moi, j’ai pleuré et convulsionné, jusqu’aux petites heures. Ce ne furent pourtant pas des larmes frivoles, de celles qui coulent comme les rapides d’une rivière à la crue du printemps, ni de celles qu’on arrache une à une lorsque la douleur est pressante, mais réfrénée. Mes larmes étaient lourdes, et coulaient une à une, lentement. Elles laissaient sur ma peau une trace chaude, comme lorsque l’on glisse la lame d’un couteau sur le revers de la main, comme lorsque la première goutte de sang s’extrait du sillon ainsi formé.

Puis mon corps semblait être pris d’un venin inconnu, et s’agitait en spasmes lents, frissons électriques et brûlants. La désorganisation de mes membres agités doucement n’avait d’égal que l’écroulement trop lent de mon univers. Le repli des étoiles se compte en million d’années. J’étais alourdi par ma colère. La tristesse seule aurait éclaté, se serait fracassée sur les murs dans un grand bruit de verre brisé, puis je me serais assoupi. Mêlée à la colère, cette tristesse devenait presque langoureuse. J’ai su immédiatement que je connaîtrais peu de ces douleurs dans ma vie. Ce serait désormais une expérience passée, signe que l’on vieillit. Signe que l’inconnu diminuait tout au long de la vie, au profit du connu, et que tout ce que je vivrais désormais n’aurait rien de commun avec cela.

Prémisses disgracieuses

la nostalgie est un poignard, vous fend de bas en haut, sur le rythme d'une vieille
chanson brûlée. morte. décapée. comme les portes de la jeunesse, avant le vermeil
qu'on y étendit, plus pâle que le sang, pour faire plus vrai, pour vivre en éveil
et se faire invitant, pour les années, les ennemis, et les coups de poignard en veille.

la chair cède doucement sous le fer acéré
tissus discontinus et fibres rompues
regard hagard et vestiges fustigés
un réseau d'élastiques tendus
tranché retranché à chaque avancée
le froid du fer refroidi par la fièvre
et l'absolu et l'adhésion du fiel
au couteau sans trêve ni trépas
que d'abjectes infractions insinuées
dans le thorax du lendemain qui n'est pas
de ses douces mains de verre embué
sous la loupe de glace que tend l'horloger
le vermillon liquide se récolte à l'augée.


complet tendu étendu ouvert disposé réceptacle hôte auberge accueillant
Le matin resplendira la peau des endeuillés les restes seront gommés,
non sequitur.

dimanche, mars 29, 2009

Mouvements d'atômes

Déferlante d'ambitions mouvantes
ondoyantes      odorantes      le varech
l'air salin du bord du fleuve
au raz la mer, là-bas...

ils émettent en onde
pulsions, résidus cynétiques
goutte à goutte, atôme à atôme
selon la sinueuse jusqu'à ma proue
jusqu'à ma figure.
                Crachat.

Torrents de boues
descendent du Mont
  comme on limone les fonds
  comme on érode une côte
  comme on arraisonne.

Ma galère est harnachée
escortés, nous irons à l'autre rive
par les continents de bitume
de boue      d'eau      de sable

Restes d'une plage où nous échouâmes
et les paquebots aujourd'hui
  comme une volée d'outardes
  comme une meute d'acier
  comme un troupeau mécanique
    sillonnent ma terre ferme

Mont-Royal me pointe au visage ses atômes crochis,
ses effluves de mer, son air qui croûte la peau...

Ici aussi, les pêcheries s'instituent un ministère.

dimanche, mars 22, 2009

projeter sur elle

Les douleurs éphémères s'éphémérident,
s'alignent, à la pointe du fusil des jours courant
à la queue leu leu devant les rides
de la jeunesse qui brave, brave ...

Coeur tatoué me défonce le crâne de l'intérieur
Avec ses rythmes d'enfant charmante
Me blesse, me blesse, en rimes et turpitudes malotruses
Elle se prend pour qui porcelette jaune rose vert

Elle se prend pour qui la déesse de la puérilité livresque?
Elle se prend pour qui la sale prononceuse de vils discours vains et légers?
Elle se prend pour qui, elle se prend pour qui, elle se prend pour qui, elle se prend pour qui, elle se prend pour qui?

Sans mot. Elle danse dans sa grosse boite et les petites notes de toutes les couleurs dansent autour d'elle, sur fond blanc immaculé.

La vie c'est salissant,
et c'est pas qu'à cause du chauffage.
Apprends, apprends. Marque toi au fer rouge, pas à la craie. La marelle est terminée. Tu es au ciel, maintenant redescends.

La vie c'est salissant
Surtout parce qu'elle échaffaude
pour se sortir du fond

Dans le fond c'est salissant
Parce que les mots sont sales, parce qu'avec eux qui s'extirpent avec peine de mes voies respiratoires renâclant le mucus, parce que les mots sont enduits, enrobés des déjections de bactéries qui m'habitent la tranchée, guerre de trachée, guerre de soldats, mouille mouille les mots de boue organique.

Dans le fond c'est salissant, parce que tu es laide et prétends à la beauté. Parce que tu es vile et me touche. Dans le fond c'est salissant, parce qu'à te côtoyer je deviens quelconque et qu'à t'aimer, tu deviens quelqu'un. Mais je te hais je te hais je te hais hardie dilettante.

Tu me pues au nez. Tu pues à mon nez, pue pue, jeunesse libre. Tu vagabondes dans tes effluves florales trop piquantes pour ta petitesse. Pue, sale, pue, tu te parfumes à l'inodore, tu t'estompe tous les matins en t'aspergeant de perfection.

Et tu es laide. Laide comme les rideaux de chez Gaston, qui sont de bon goût, mais sans ambition. Tu es laide avec ton regard plein. Tes joues qu'on baise tendrement parce qu'elles l'inspirent, grasses et douces, ton genou qui se plie et se replie dans une grossière exhibition sous-cutanée de tendons et de rotules. Tu es laide. Tu es laide.

Tu ne m'inspires que dégoût. Viens je te prendrai contre moi.

vendredi, octobre 24, 2008

Le tour

Peut-être a-t-on fait le tour. Circonscrit le sens de tout ceci. Sans doute, on avance. Sans espoir, avec juste ce qu'il faut de confiance pour croire qu'il n'y a pas de murs insurmontables devant soi. De part et d'autre de chacun d'eux, un escalier de ciment se dessine dans une alcôve. Nul ne saura où ils mènent, et surtout s'ils mènent au même endroit.

Nous en choisirons un, de droite, de gauche, l'escaladerons, à chaque pas correspondant un battement de coeur, de ceux qui nous font frémir toute la cage thoracique, à chaque marche, une répercussion sur les tempes, et la chaleur au visage, qui s'enfle sous l'effort et la rougeur. Le vide, qui siffle au tympan. Le froid contre les joues, flagelle la peau, laminairement.

Dans l'air brumeux du matin de l'automne tardif, baigné de la lumière bleuâtre du petit jour, perçant au travers de quelques flocons écartés de leur tempête, j'irai,
droit devant,
vers un de ces murs.

Prendrai à gauche,
ou à droite selon l'humeur du moment,
et le sourire que j'apercevrai, à droite, à gauche, je gravirai les marches,
mon Kilimandjaro à moi,
ma cause ne soulèvera pas d'engouement, je m'engouffrerai derrière le muret
de béton,
je ferai l'ascensscssion, longue, dans la noirceur du petit jour qui n'a pas encore su
gagner
ce qu'il faut de conviction
pour illuminer la voie couverte

je monterai les marches, celles du bord de la route, là,
dans cette grotte construite par l'homme, par science et technique...

j'irai....


De moi ou du décor, je ne sais rien de ce qu'il adviendra.

mercredi, janvier 17, 2007

haïku

tu marches
dans des chemins de rêves
envolés

mardi, octobre 17, 2006

En passant par chez moi...

En passant par chez moi, un soir de grande noirceur, j'ai aperçu au fond de la cour quelques vestiges de mon ancienne vie. Quelques lattes de bois dur posées contre le cabanon. Il faudrait bien que je revienne ici, faire un peu de ménage... Mais il y a tant à faire ailleurs. Tant de bonheur à vivre. À quoi bon revenir m'épancher sur toute cette saleté?

...et si j'en avais envie?

J'aimais bien quand l'écriture était mon exutoire...

lundi, février 13, 2006

Mardi III

Le patron du café m'accueille avec une moue. Instinctivement, je regarde ma montre. Six heures vingt-cinq... Je lui renvoie un sourire digne des starlettes d'Hollywood : faussement enthousiaste et figé, le coin gauche de la lèvre supérieure légèrement relevé. Je ne peux rien pour cacher le dégoût; c'est un sentiment trop authentique, qui se profile de l'intérieur vers l'extérieur, en réaction à cet extérieur. C'est un mouvement naturellement violent, qui répond à une intrusion dans mon confort. M0n illusion de confort. Ma complaisance dans l'inconfort. Un inconfort que j'ai choisi et qui conséquemment m'est passablement confortable, assez du moins pour que je souhaite qu'on m'y laisse tranquille.

Le patron du café m'accueille avec une moue. Instinctivement, je regarde ma montre. Six heures vingt-cinq... Je ne suis pas en retard, j'ai pris soin de ne pas faire claquer la porte, j'ai essuyé mes souliers sur le paillasson, je le déteste, il me hait, je suppose que c'est suffisant pour que nous grimacions.

-- Est-ce que je suis si laid à voir?
-- Plus que jamais. Un distributeur à glaçons, trois mots qui en sortent, durs, translucides, qui s'éclatent sur le plancher, se répandent, en pièces, sur le plancher de bois. Vieux salopard qui se permet de lire dans mes pensés. Évidemment, je ne les prononce pas, ces mots. Je n'en prononce aucun. Petit sourire de sa part, esquissé, comme du crayon de plomb sur une serviette de papier, pâle, flou, déchiré...
-- Quand tu me sers ton rictus de plastique... habituellement, c'est pas bon signe. Si ça t'embête pas, je vais me contenter de la cuisine pour ce matin, tu feras le service. Quelque chose dans ton attitude me dit que je ferais fuir les clients...

J'acquiesce à sa demande. Ironiquement, il est plus drôle quand il est malheureux. Connard.

lundi, février 06, 2006

Un mardi II

La réalité, c’est qu’il y a des frais pour résilier un abonnement, un téléphone à faire, des explications à fournir au téléphoniste, de multiples dérangements dont on se passe aisément. La réalité c’est en fait que ce quotidien m’emmerde et que je ne vois pas comment je tolèrerais qu’on me le livre tous les matins, avant six heures, à ma porte. Je ne pense pas que j’accepterais un tel affront.

L’élection de tel candidat dans telle circonscription en élection complémentaire, la démission de tel PDG, la découverte du cadavre de tel employé de tel supermarché, sur telle rue, pour telle raison, que tel policier explicite à tel journaliste médiocre engagé par tel directeur de production depuis que tel propriétaire d’empire médiatique a mis la main sur tel autre journal, faisant de la publicité croisée en partenariat avec tel restaurant, ce que décrie dans les pages d’opinion tel citoyen tellement vexé.

Tout ça pour un résultat assez médiocre, c'est-à-dire un papier qui, une fois replié sur lui-même plusieurs fois, ne forme pas même un rouleau assez volumineux pour effrayer un schnauzer. Je sors du dépanneur en taisant toutes ces considérations, et j’envoie valser la Voix dans la poubelle de rue.

Des pas qui accourent vers moi. C’est Éric. Il me salue d’une embrassade comme lui seul sait en faire. Léchage de la joue droite lorsque je me penche vers lui. Éric est le seul des clients du café à agir aussi familièrement. Le seul à ne jamais payer. Et le seul qui soit toujours sur la terrasse, hiver comme été. J’ai souvent tenté de convaincre le patron de le laisser rentrer, arguant qu’il ne serait pas plus dérangeant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

« Ce salopard de chien rentrera ici quand sa propriétaire daignera se montrer avec lui! »

La mère de Fannie-Claude a emménagé dans un foyer pour personnes âgées quelque temps après la rupture de sa fille et de son gendre. Des raisons nébuleuses. Peut-être une maladie incurable. L’amour filial. Ou l’honneur. Elle a laissé son petit logement à Fannie-Claude, l’assurant qu’elle pourrait vivre de l’héritage de son mari et des revenus du triplex. En échange, Fannie-Claude prend soin d’Éric, son schnauzer.

C’est-à-dire qu’elle le fait entrer le soir et le laisse sortir le matin, oubliant de le nourrir certains jours, ce dont la boule de poil ne semble pas trop se plaindre, toute affairée qu’elle est à jouer de la patte sur mon t-shirt, et de la langue sur ma figure. Il faudrait parfois que les chiens cessent d’aimer, comme les humains savent si bien le faire; qu'ils cessent, eux aussi, de fréquenter les cafés que leurs maîtres délaissent.

dimanche, février 05, 2006

Un mardi

Un mardi. Il pleut. Il pleuvra toujours dans cette histoire. Le Québec est un pays pluvieux. Un pays gris. Le lieu de quelques arcs-en-ciel, de quelques routes éclatantes sous la pluie, surtout le lieu de la stratosphère opaque. N’en découlent que des images lourdes. Que des déceptions froides. Aucune sueur. Une proximité entre automates hyperréalistes toujours divisée par des brises fraîches. Des feux d’artifice qui éclatent au raz le sol. Des pétards mouillés.

Ici, on se grise aux champignons qui se forment dans l’humidité des murs, qui enveniment l’air. On est drogué au quotidien. On est asservi au guichetier du métro, aliéné par le bruit sourd des dix-roues. On se déplace, tête inclinée, pour affronter les hordes d’eau. Cela devient une habitude. On ne marche plus, dès vingt ans, qu’en fixant du regard le bout de ses chaussures. La routine nous permet d’éviter les obstacles. Poteau, à gauche. Feu de circulation. Rouge. Vingt-quatre secondes. Huit voitures, les mêmes qu’hier. Il est six heures dix-sept.

De l’autre côté de la rue, l’homme au grand manteau noir sort de chez lui, se retourne, verrouille la porte, vérifie. Il ramasse son journal, ancre bien son chapeau, descend les marches, puis disparaît dans la ruelle sous le regard d’une voisine qui l’observe de sa fenêtre sans rideau. Elle m’aperçoit, disparaît hors du cadre. Six heures dix-huit. Feu de circulation au vert. L’autobus qui roule trop près de moi m’éclabousse le pantalon. Deux blasphèmes, un regard de glace vers la grosse bestiole métallique qui s’en va se repaître de passagers amorphes devant le café. Elle en dégobille deux : le patron du café et le concierge de l’école primaire située juste au-devant.

J’entre au dépanneur. Le journal. La Voix. J’achète toujours la Voix au dépanneur. Pas que j’aie une véritable préférence pour ce journal, de plus en plus populiste, mais leur graphisme est intéressant. Et il présente l’avantage de ne pas être abrutissant comme les tabloïds où on retrouve trois lignes de texte insipide pour une page de photographies haute résolution.
Le commis, type asiatique qui parle un français on ne peut plus québécois, me connaît bien. C’est-à-dire qu’il sait mon nom, et pour cette raison, considère qu’il peut me raconter sa vie et celle du quartier.

- Maxime! Ça va? Tu ne devineras jamais ce qui est arrivé hier !

- Madame Forget qui a gagné au loto? Je demande pour la forme, sans trop d’intérêt. Étrangement, il a l’air déçu de ma réponse.

- Comment tu sais?

- Peut-être parce qu’elle échange compulsivement toute sa monnaie contre des billets et qu’il ne se passe rien de trop excitant ici, en général.

- Ça aurait pu être un hold-up ou un début d’incendie, je ne sais pas... À l’entendre, j’ai gâché sa journée. J’en aurais honte, si j’arrivais à m’expliquer qu’un gars potentiellement intelligent comme lui passe ses journées à moisir derrière un comptoir de dépanneur à échanger des futilités avec des clients un peu con, comme moi. Il se ressaisit et poinçonne le prix du journal sur sa caisse enregistreuse. Un dollar, s’te plait.

- Ça a monté?

- Cinq cents de plus, je ne pense pas que ça fasse un trop gros trou dans ton budget. Vraisemblablement, je l’ai vexé. Pourquoi tu ne t’abonnes pas, de toute façon? Il a raison. Je devrais m’abonner. Ça me coûterait moins cher. Une femme m’a appelé récemment pour me proposer un rabais avantageux. J’ai refusé. Je sais pertinemment que je ne m’abonne pas parce que ça représente un engagement, et que je ne veux rien savoir d’aucune forme d’engagement, même si le journal fait partie de ma routine. En fait, c’est précisément parce que la lecture de la Voix est inscrite dans mes habitudes que je refuse de m’abonner. Il est plus aisé de quitter la routine quand rien ne nous y lie.

Je ne suis pas certain que mon ami chinois comprendrait le raisonnement. Pas qu’il soit idiot, seulement, il vit dans une illusion simpliste où il suffit de résilier l’abonnement quand on n’en veut plus.

La réalité est beaucoup plus complexe.

samedi, janvier 21, 2006

Sans filtre.

Jamais plus entretenir des vestiges; les laisser se putréfier. Décomposition. Décomposer les bribes en brises fraîches. Je cherche un paradis de secours.

Urgences grottesques. Urgences grossières. Il fait froid. Jérusalem enseveli sous le sable, qui se meut de terre en terre. Miséricorde, misère hardcore, misére et corde. Cordages visqueux, que cette pendaison! Sous des cieux demeures d'anges vaudoux, succombent, ignifuges, des rieurs enflammés. Où es-tu?

Les charrues battent un bitume englué, fauchent ce qu'il reste de mon désir. Balaient mon ennui, balaient ces ressacs vils, animations japonnaises érotiques. T'as des baguettes chinoises dans la tête. en norvège on utilise des fourchettes en afrique les doigts en amérique c'est au seins qu'on se dévoue. Pleurniche, rougeaud abuseur public. Anime la scène japonnaise de queue branlante suintante loufoque vestige. Un sourire dégouttant. C'est ma mie qui s'immisce. Le rire d'une vie qui nait. J'engendre la clôture, mi-haute, surpasse la frontière, qu'on met en tombe. Dégrise. Revit. Aguichante salive sur le porte-manteau. Ça sent le sexe. Ça fleure les gouttes. Longtemps qu'on a mis en terre tel fourreau... L'immense soupière où je baigne, se refroidit. Je me hérisse en toi. Mon sexe pleure. Je suis vermifugé. Je suis partout fugitif. Démétol. Morphine. Acide cyanhidrique. Farfouille, détective, 20000 lieues sous la terre, je me dérobe à l'enfer. Je ne cherche qu'un paradis de secours.

L'enseigne me séduit. L'enseigne ment. L'esprit du vent me rudoie. On mange? Mettons nous sous table. Filons les gants blancs. Ô grande muse, je me désole. Que fait la mer sur moi? Mère, surmoi... How old are thou?

Que vive ma.......... âwww... Jazzy Night in a lost W.C. Merde! J'arrive au sommet du mont Toi. J'ai froid. Attise mes pleurs, attise ma peur, attire-moi vers l'heure, file mon bonheur. Stupeur. Où t'es. T'es où?

Je me console, ton sein est froid. Dure réponse de mon filon d'art. Vite, venge-moi. Dévore jusqu'à l'aube de nos envies, que je meure à l'autre vie. Demain, je rigole, tantôt, nous serons. Crois-tu en moi?

Sauve-toi. Rien à fouttre. Rien à fouttre ici, je suis vide. Fous-toi de moi, avec moi sur moi en toi que j'en meure. Brutale expression de désespoir. Épouse-moi je pars en Birmanie. C'est où?

_____
(NDA, 2009 : J'ai vraiment écrit «mon sexe pleure». La honte! Sacrée jeunesse...)

samedi, janvier 14, 2006

Seize heure treize

Seize heures douze
Des hommes s'entretiennent
Avec la rue enneigée
Au fait de ses engelures
Qu'ils pansent de coups de pelle

L'escalier s'anime
Sous la taciturne voisine
Qui rentre de voyage
Comme un enfant
Qu'on appelle à table

Dans la lessiveuse se tordent
Quelques chemises rayées
Et mon âme tachée de détersifs
Sous les pas encombrants
De la voisine et des hommes d'entretien
Il est seize heure treize

dimanche, janvier 08, 2006

Les robes des muses.

à C.

Chairs au vif qui se cuisent, de sels, d'aurores mornes
Englobées de noirceur au petit jour vibrant
Regard ensanglanté, je suis le maître borgne
Dans le silence trouble qui plane assidûment

S'élèvent des écueils de crystal et d'argile
Dont les pointes mutilent chacune de mes envies,
Et ma peur s'illumine et tout mon être est vil
Nuée phosphorescente sur mon être transi

Contrastant aussi peu que la sueur et les pleurs
L'eau salée d'Antarctique raffermit ma douleur
Et le vent se charge de sécher mes humeurs
Se perdant en ces algues où mes sirènes pleurent

Un chant d'amour vieilli que j'ignore, que j'ose
Expirer en sanglots, oui, mes muses larmoient
En leurs robes de nacre, elles râlent sur moi
Quand un opaque jour s'émeut de tons de rose

Je regarde la mer et m'entretiens ainsi
Les robes des muses sont des coquillages
Sous cette ère d'eau froide en cueillant mille vies
M'en entaillant les veines je suivrai leurs sillages

Jusque dans la pénombre le doute et la douleur
Me blessant ainsi qu'elles souffriront l'engelure
J'atteindrai s'il te plait et malgré ta rigueur
Un nid où nos passés perleront au futur.

vendredi, décembre 30, 2005

Éventualité.

Devenir tranquillement quelqu'un tout seul.
Tout seul, mais tranquillement quelqu'un.

lundi, décembre 19, 2005

Tu projettes une lumière hivernale sur mes jours d'été.

lundi, décembre 12, 2005

Sur l'éducation, encore

Ceci est une réponse à Monsieur/Madame l'Anonyme «out», qui avait commenté un texte de KafKaDan, que vous pouvez lire ici : Un cours parmi tant d'autres

Je pense qu'il est nécessaire de lire les autres textes avant celui-ci.



Vous aimez Camus?
«Créer, c'est vivre deux fois»
«Créer, c'est aussi donner une forme à son destin»
«La bêtise insiste toujours.» (suis-je bête!)

Permettez-moi d'être un peu lâche et de répondre, point par point, à vos remarques. Au fond, ça nous aidera peut-être à nous comprendre plus aisément.

Votre première assertion m'inquiète: «Je crois bien que nous [ne] nous entendrons jamais». Pour ma part, je suis bien ouvert à ce que nous réfléchissions ensemble sur nos idées, quitte à les revoir. L'êtes-vous?

«vous avez une conception relativiste de la connaissance». Non. Les choses sont, et on les connait ou non. Ce qu'il FAUT connaître? Tout. Mais c'est chose impossible, et les expériences individuelles n'ont pas toutes la même forme. En conséquence de cela, il ne peut appartenir qu'à chacun, individuellement, de décider de ce qu'il juge bien ou mal, si de telles notions existent vraiment. Cela selon son expérience propre. La mienne est restreinte, vu mon âge. De ce fait, je ne saurais décider que ce que je choisis d'enseigner est tout ce qu'il faut savoir (sur un sujet précis, disons). Je ne suis pas disciple d'Érasme. Pas pour rien que je vous parlais de Rabelais.

La liberté de discussion? Non, vous ne la niez pas. La restreignez à «un cadre défini». Cadre qui inclut l'enseignant? Je suppose. C'est lui faire peu confiance que de penser qu'il ne sera pas en mesure de transformer la «contestation subversive» en doute méthodologique. Remise en question par les élèves, justification par l'enseignant. Et voilà un méta-apprentissage. Étape 1 de l'Apprendre à apprendre : Savoir pourquoi on apprend. Encore ce fouttu Rabelais.

Obéissance et soumission. L'ordre, s'il n'est pas établi et choisi par la société qui y obéit, la soumet à l'autorité. La microsociété que représente la classe peut choisir ses normes. Si l'enseignant est bon, il saura expliquer les raisons de ce qu'il propose, et si tous sont de bonne foi, l'enseignement suivra son cours. Du Contrat Social appliqué au collégial. Mais vous me répondrez peut-être par l'Émile. Quel âge, quelle capacité de compréhension? Pas encore celle d'un collégien. exit.

Votre école n'est pas plus vieille que la mienne. Tout au plus, elle est dominante depuis l'Antiquité. L'Homme a d'abord appris par l'expérience, la discussion et la confrontation. Les premiers savoirs se sont acquis par des «élèves» étudiant la nature et non alignés devant un enseignant... Par ailleurs en associant «mon école» aux années soixante-dix, vous oubliez les universités médiévales dont plusieurs étaient administrées par les étudiants, qui choisissaient leurs apprentissages et leurs enseignants (la première étant Bologne en 1190), vous oubliez Pestalozzi (1746-1827) et la liberté à l'élève, Parker, Dewey, Neill (XIXe siècle), sans parler de nombreux philosophes, qui avant les pédagogues s'occupaient de suggérer des normes en éducation. Plusieurs de ces écoles qui ressemblent à «la mienne» ont réussi. Ont aussi souvent été fermées par l'Église, normative, restrictive, qui croyait en une Connaissance limitée et une Foi illimitée.

Innovation, dans la société dans laquelle on vit, c'est précisément éviter de penser que cette notion n'est propre qu'à la gestion économique et à la technologie électronique. J'entends par innovation l'introduction ou la RÉ-introduction d'idées nouvelles ou insuffisamment explorées. Comment juger? En comparant. L'étudiant qui pense innover en se comparant se heurtera invariablement à un fait bien humiliant : des plétores d'individus ont pensé, dit et créé comme eux. Voilà une conscience qu'il aura acquise lui-même, qu'il comprendra. Qu'il n'apprendra pas par coeur. L'humilité ne s'enseigne pas. Ça se développe. À quoi servent les cours de création littéraire? Peut-être à faire comprendre à l'étudiant qu'il n'est pas seul, qu'il n'est pas réellement original, mais qu'il n'est pas vain d'essayer.

Et pourquoi je juge qu'il n'est pas vain d'essayer? Parce que notre société se borne à ne plus évoluer. Se borne à considérer que l'économie est la maîtresse de tous les Hommes et qu'ils ne peuvent coucher qu'avec elle. Effleurer par mégarde le rêve, flirter avec les humains, embrasser l'environnement, et se four(voy)er avec l'économie. Mon humble avis. D'aucuns diront que, sans argent, on ne peut même pas manger. Revisitez donc les schtroumfphs. C'est ça, l'innovation. C'est croire assez à ce qui n'est pas commun pour en publier trente-deux albums. Mais ce n'est qu'une bédé pour enfants!!! Vraiment? L'amour, la générosité, la conciliation, le végétarisme, le refus de l'argent, de la haine profonde, de la corruption, la crainte du grand méchant magicien raté dominateur, le tout sous l'oeil attentif et bienveillant du vieillard conseiller, ce n'est que pour les enfants?

Mais réconcilions donc nos pensées; je ne crois pas que ce soit impossible. Les étudiants manquent de bonne foi. Une discipline à être instaurée dans nos collèges et universités, impliquant certes certaines contraintes, et décisions prises unilatéralement. Que les jeunes s'établissent dans un mouvement de continuité, oui, et que ce mouvement soit perpétué par l'innovation. Réinvestissement des acquis du passé dans l'étudiant, fructification, nouveaux investissements, etc. Tout à fait d'accord.

Quelques bémols:

«Ceci présuppose qu'il y a une autorité». Autorité? Je dirais ressource. Personne détentrice de certaines connaissances que l'élève n'a pas. N'oublions jamais que l'élève a lui aussi des connaissances que l'enseignant n'a pas. Qu'en cela, l'enseignant ne peut définir et décider à lui seul de ce qui est beau. (Aucun philosophe n'a d'ailleurs pu statuer sans détracteurs sur la nature du beau) Le grand, c'est la voix de la majorité qui le définit. Le fort, c'est l'union des individualités qui le forme. Un héritage civilisationnel qui mérite d'être aimé et admiré, certes, parce qu'il est à notre origine. Comme on aime son père parce qu'il est père, qu'on provient de lui, cependant qu'on ne posera pas nécessairement nos pieds dans ses pas.

« Quand on admire, c'est qu'on conçoit qu'il y a quelque chose de plus haut que nous». De plus haut? De plus grand, si. D'insaisissable dans sa totalité, même. De plus expérimenté, aussi. Si vous entendez hauteur ainsi, va. Sinon, il me semble que ce soit légèrement mystique; nous serions alors irréconciliables, sur ce plan, je l'admets. À ça -- pardonnez-moi -- je suis fermé. :)

Maintenant, je suis curieux de connaître votre avis sur ces explications. Sincèrement. Cela dit, je ne tiens pas à entendre ce que vous pouvez penser de moi, par exemple que je suis un jeune idéaliste et que mes idées changeront avec l'expérience. D'abord parce que -- au risque de me répéter -- mon expérience ne sera pas la vôtre. Ensuite parce que ce vous feriez de moi, comme de plusieurs, un symbole de la stagnation. Et ça me mènerait directement au suicide. ;)



D'autres beautiful lies pour ceux qui n'en ont pas marre.

Les robes des muses

Chairs au vif qui se cuisent, de sels, d'aurores mornes
Englobées de noirceur au petit jour vibrant
Regard ensanglanté, je suis le maître borgne
Dans le silence trouble qui plane assidûment

S'élèvent des écueils de crystal et d'argile
Dont les pointes mutilent chacune de mes envies,
Et ma peur s'illumine et tout mon être est vil
Nuée phosphorescente sur mon être transi

Contrastant aussi peu que la sueur et les pleurs
L'eau salée d'Antarctique raffermit ma douleur
Toujours le vent se charge de sécher mes humeurs
Se perdant en ces algues où mes sirènes pleurent

Un chant d'amour vieilli que j'ignore, que j'ose
Expirer en sanglots, oui, mes muses larmoient
En leurs robes de nacre, elles râlent sur moi
Quand un opaque jour s'émeut de tons de rose

Je regarde la mer et m'entretiens ainsi
Quand les robes des muses seront des coquillages
Sous cette ère d'eau froide en cueillant mille vies
M'en entaillant les veines je suivrai leurs sillages

Jusque dans la pénombre le doute et la douleur
Me blessant ainsi qu'elles souffriront l'engelure
J'atteindrai s'il leur plait et malgré leur rigueur
Le nid où les passés perleront au futur.

Le titre a été dicté par Reine Laurence, il y a longtemps.
Toutes les robes ne se perdent pas dans des mers de froufrous..

samedi, décembre 03, 2005

Mémoire usinée

si tu vivais dans l'ancien temps
tu entrerais dans un monastère
- Guillaume Apollinaire

Rintintin ratisse les machines
Tchekov rue ses espoirs succincts
Sur la ribambelle des lendemains
Et penche, pence la muraille de l'usine

Rigueur éternelle foutaise malotrue
Rédemption profitable déganguée morue
Faut-il fuir, foutue finance
Des marais, cancre et nauséabondance

Les méridiens en exil n'entravent
Aucun des rieurs, beau séjour maladif
En contrée subterfuge malodieuse. Behave!
Et vente, vente l'assensceur fautif

Montons, mentons, méphistophélès est las
Là, morbide industrieux déloyal
Et, fourbu, fixant la splendeur fantassine
Rintintin ratisse les machines

Suant sur son suaire l'ancien sang
Et le monde après lui se suspend.

mercredi, novembre 30, 2005

Quelle détestable habitude !

Boire le café du matin au moment où le ciel s'obscurcit....

mercredi, novembre 09, 2005

«Il suffit d'un baiser pour apprendre l'amour»

Ce qu'on en dit des conneries sur l'amour. Ce que ça nous occupe, d'en parler, d'un sentiment qu'on s'est inventé, quelque part au Moyen Âge, pour faire mignon, pour faire valeureux, pour l'honneur. Ce qu'on s'en crée, des raisons de vivre, ce qu'on s'en balance, au fond. C'est qu'on veut mourir quand ça commence,tout comme quand ça se termine, et on souhaiterait l'éternité du moment dès qu'on copule, dès qu'on jouit,dès qu'on est ensemble et qu'on espère. L'amour est un sentiment qui vit d'espoir et meurt du désespoir.L'amour, l'amour c'est comme une fleur, c'est comme... Mais faites-moi rire!

L'amour existe-t-il? Encore? Chante Céline! Nah. Sans blague. Ce qu'on en dit des conneries, sur quelques stupides papillons qui s'excitent quelque part entre le coeur et le bas-ventre, à l'idée d'un peu de tendresse. Et ce qu'on en ferait des bassesses pour ces papillons-là.

Au fond, ce qu'on veut, c'est l'inaccessible toujours recréé. Ce qu'on souhaite, c'est le sexe, et la grandeur du sentiment; qu'on puisse en parler, et même l'analyser de façon rationnelle. Pouvoir dire «je l'aime parce que...», comme si «j'aime» ne suffisait pas. Qu'on puisse en parler, parce que ça nous change de parler du beau temps.

Ce qu'on en dit, des conneries.

Au fait, je vous ai dit que j'avais une copine?

mardi, novembre 08, 2005

Caulfield

C’est un enfant, qui vole… Allongé, nu, dans un long corridor, un trop long couloir pour sa taille à lui. Nu, ne restant de la vie sur lui que quelque peu d’une chaleur que lui offrent des draps de coton, blancs, il erre. L’espace autour de lui est un tumulte plaintif qui se répercute dans tous les sens, sur toutes les surfaces, et au travers des draps blancs, sur son corps frêle, qui frémit à tout instant. Des pas battent les dalles humides : on n’accourt pas vers lui, on passe. On circule. On effectue des cercles, concentriques, jusqu’à ne plus tourner que sur soi-même : on se questionne : « Saloperie de dossier, où j’ai mis ça? » On s’extériorise.

L’enfant referme délicatement ses ailes, se redépose sur sa civière, bien ancré. Les mains fermées sur les draps blancs, le regard fixé entre le plafond et lui, il écoute. Le temps qui claque; l’odeur qui en ruisselant s’éventre et hurle de douleur. Et les gens. On court. On marche. Plus loin, là, au bout, près de la porte, on meurt. Cela, se fait en silence. Lui ne mourra pas. Pas maintenant. De petites abeilles volent en lui, et parfois, souvent en fait, elles le piquent. Alors il voudrait hurler, mais il n’y a que sa tête qui se recule un peu, et bien que sa gorge soit libre, que l’air circule entre ses dents, il n’y a rien qui sorte. Au mieux, il tousse, légèrement, ou soupire. Alors il s’envole lui aussi. Il n’a pas peur quand il vole, ni mal. Seulement alors il n’écoute plus. C’est comme ça qu’il ne mourra pas.

Voler ne l’épuise pas. Mais chaque atterrissage le fait souffrir davantage. Les abeilles, jalouses, virevoltent, s’emportent, et enfoncent leur dard, leur venin, plus d’une fois dirait-on. Cela, le fatigue.

De tout ce qui s’agite, autour et au-dedans de lui, il comprend si peu. Mais il ressent. Le mal, la vitesse, l’indifférence, l’absence. Le silence lointain du soir, et la pénombre de la douce apocalypse, l’impersonnalité de l’Urgence, l’inhumanité du mal qui l’habite. Ses parents ne viendront pas, ne le réconforteront pas. Ils sont morts.

– Tu sais, dit-il, lorsque je serai grand, je serai médecin. Et un peu pompier aussi, même cuisinier. C’est ainsi qu’il s’adresse au brancard, sous lui, ce vieux sage qui en a vu d’autres. Comme ça je vais pouvoir soigner les gens et éteindre le feu qu’ils ont dedans, avec du pâté chinois.
– …
Sa mère s’est suicidée, quelques années plus tôt, à peu près au moment où une cirrhose emportait son père.
– Maman, tu sais, c’est sa vie qui était malade. Peut-être que les médecins ils peuvent rien faire quand c’est la vie. Papa, c’était sa foi, alors ils auraient pu le soigner mais c’est parce que ça a été trop long avant qu’ils s’en rendent compte.
Le brancard est d’une écoute attentive. Il n’a rien d’autre à faire. Quand les abeilles viennent, ou que l’enfant s’envole, il reste là. Bien en place. Disposé à recevoir la vie, les souffles difficiles. C’est un vieillard songeur, qui cause peu.

Cette nuit, la lutte est féroce. Le brancard grinche. Il supporte une vie mouvementée. L’enfant veut vivre. Dans toute son impuissance, il se débat, affronte des ruches entières, il veut être grand, et ignore qu’il ne le sera jamais. Les enfants comme lui ne vieillissent pas, ils ne peuvent que mourir. L’enfant est atteint d’une fatalité incurable, une souche humaine du plus dangereux virus. Il n’en sait rien. Il ne sait pas combien tous ces combats se répéteront, combien la perpétuité est longue, il ne sait rien de l’éternité d’un espoir qui ne se concrétise jamais. Nu, recroquevillé, chaud, souffrant, hallucinant son envol sur une plage de galets rouges, le cœur pendant, avec ses entrailles qui se dispersent et frottent contre chaque imperfection du monde. Il a mal. Il sait qu’il a mal. Chaque pierre du sol pénètre une partie de sa vie, s’incruste, fait gicler le sang. Il se tord, se broie; des nuées rougeâtres ruissellent sur le sol.

Les draps se flétrissent, le sang et le pus se répandent, caillent, tout est taché de la guerre d’espoir. Sur le front un enfant, quelques abeilles, et une vie qui fuit, qui fuit rouge partout, sur les dalles sèches, les carreaux chlorés et les bocaux de cotons-tiges. La nuit éclate en sanglots, pleure des larmes noires sur le regard d’un enfant qui veut vivre, et l’ensevelit. Il pleure, lui aussi. Pleure de rage, d’être, mais si peu, d’être et de n’être plus, d’être et de ne jamais savoir, ne jamais saisir, se saisir de soi. Le ressentiment qu’on vit de ne jamais savoir, qu’il mourra quand même, qu’on meurt tous un peu trop vite.

Bientôt sa chute est irrémédiable. Le sol, le sol! Une abeille. Elle le porte. Il s’abandonne, las. Qu’il est doux, l’air sur sa peau! Il ne veut pas sentir le mal. Que la beauté. Que la fermeté de son appui. Et bientôt, d’autres abeilles, et des bourdons, et des guêpes, quelques mouches, et encore un papillon, le portent, l’entraînent. Lui, éviscéré, rongé, porté par son mal, porté par ses assaillants, et au travers d’eux un peu de beauté, il se laisse flotter. Il ne ressent plus de douleur.

Il est mort, l’enfant.

S’en va retrouver ses parents, morts bien avant lui, qui l’emmènent fêter l’âge de raison.

jeudi, octobre 27, 2005

La nature morte

Je connais bien peu à la peinture. «Rien», serait plus juste. C'est peut-être pour cela que j'ai de la nature morte une image plutôt terne. Plutôt en teintes de gris, plutôt en formes floues, plutôt en urnes de terre brune et en fruits déconfits. C'est peut-être pour ça que j'exècre les pots de fleurs et les prunes empilées. Ça me donne toujours l'impression de manquer d'imagination, avec un arrière-goût d'inachevé.

De la même façon, j'ai connu jusqu'ici, tout au long (mais bien court) de mon parcours scolaire et personnel, de nombreux enseignants qui avec mes parents m'ont transmis le goût de la réflexion, de l'écriture, de la musique, de la et du politique, de la communication, de la littérature, de la langue française, et avec tout cela ou en découlant, le goût du savoir.

Mais de par leur attitude, mais de par leurs réalisations, bien peu ont suscité chez moi la poursuite d'objectifs. Apprenant de leur exemple, je n'ai jusqu'ici rien fait. Combien d'esprits lucide n'ont jamais eu le culot de gouverner? Combien d'adroites plumes n'ont jamais publié? Combien d'orateurs magnifiques n'ont jamais pris parole? Combien de voix mélodiques se sont tues? Combien d'idéalistes ont refusé leur philosophie au monde entier? Combien de voyants ont éteint sur leurs visions les projecteurs? Combien de pinceaux éclatés se sont vite rangés dans de bien sombres habits? Combien d'idéateurs ludiques se sont contentés du cynisme ambiant? Combien de stupides policiers ont joint les rangs des forces de l'ordre (ça, oui, un, et heureusement d'ailleurs!) Combien d'acteurs justes ont appris leur rôle de père, de mère, d'enseignant, jugeant du bien-fondé de leur sage décision par l'idée unique que la communication de leurs passions à des jeunes était bien plus valable que la pleine réalisation de leurs capacités?

Et moi, Scott Towel, Spongi Towel de la petite rhétorique d'école de campagne, j'ai tout imbibé, jusqu'à vouloir devenir comme eux, enseignant. Mais l'enseignant-raté, qui depuis la grèce antique, qui depuis l'école mésopotamienne, veut influencer à son tour la jeunesse, pour lui ouvrir les yeux et l'esprit sur le monde, sans jamais oser le faire lui-même, a-t-il sa place auprès des jeunes?

Peut-on espérer quelque chose de bon d'un enseignement théorique? Fut-il bon de faire profiter la jeunesse d'un savoir, d'une connaissance, d'une passion, s'il n'y a plus de l'aspiration que la part liée à la transmission d'un tout abstrait concept, alors qu'apprend-on à notre jeunesse? On lui apprend l'Être, le Paraître et la répercussion de (notre) petite envergure. Avec un enseignement formé d'espoir de transmission, ne formerons-nous que des enseignants?

L'enseignant marquant, le grandiose, l'enseignant-dont-on-se-souviendra n'est-il pas celui qui pousse plus avant ses réalisations? Qui, loin de se contenter de marquer de petites considérations extra-temporelles une ou des générations, s'inscrit dans son ère, et rédige à tout moment l'histoire de l'évolution humaine?

J'en ai contre le caractère mars plastic du corps enseignant, qui s'est dévoué pour faire de mon expérience scolaire un moment agréable, en s'effaçant lui-même. En me montrant l'exemple de celui qui agit à petite échelle, espérant me faire agir à grande échelle, en se disant qu'en semant des graines il obtiendrait une plante. Mais à l'échéance, j'ai bien peur que le haricot ne produise que d'autres haricots. Et il faudra bien un jour un haricot noir, un cancer horticole... On espère trop de mutations génétiques chez les enseignants.

Je veux être l'enseignant-haricot qui fera pousser un bananier. Faut-il alors que je me fasse avocat (du diable?) et que, moutarde, je me monte au nez, que pomme, je me tombe sur la tête et que raisin, je me vinifie?

Pour que la saison du haricot soit fructueuse, il faudrait bien d'abord que je me plante, que je pousse, que je bourgeonne, et que je regarde plus loin que le bout de mes feuilles. Il y a là tout un jardin auquel je touche, par mes racines et par les tiges, tout un ciel où monter en graines et toute une terre à enrichir.

Alors, seulement alors, mars plastique n'aura pas eu tort. Je suppose qu'il faut parfois effacer quelques mauvais traits pour qu'un coup de crayon donne vie à la nature morte.*

D'accord. Prenons courage, mais surtout prenons engagement. J'ai vingt ans, le quart ou le cinquième d'une vie -- c'est déjà plus long que la vie d'un haricot, et encore plus que celle d'une gomme à effacer, surtout dans le coffre du castor-mangeur-de-gomme-pour-vrai que je suis -- et encore du temps, mais pas tant, pour être. Alors au pinceau, maestro, et chante ta pseudo-lucidité avant l'alzheim'ère.

* Comme ce texte aurait lui-même mérité quelques attentats revendiqués par Staedler.

samedi, octobre 22, 2005

Peuple

Résonance magnétique
Qui court à l'abandon public
Dans une sphère de plastique
Peuplée de bourgeois frénétiques
Boursouflés d’avantages chroniques
Qui prêchent la parole biblique
Combattant les reflux gastriques
Empoignant le long fer épique
Dénudent les mannes étatiques
Du bon sens de la république
En dépouillant leurs voix obliques
Sur la douceur érotique
De leur poche pleine de fric
Qui gicle, catastrophique
Asphyxiant la pensée critique
Pensionnaire philosophique
D’un orgueil psychotique
Oh! La douce musique
Le renouveau pédagogique
Les cerveaux dans l’acide sulfurique
La jeunesse électronique
La conscience, espoir tragique
Elle s’agite, hérétique!
Rapidité clinique :
Qui est dysphasique?
Choc! Choc! Choc électrique!
Du plomb dans l’aile psychiatrique
On a percé la barrique
Analgésique
Scandale écologique
Sous un ciel hermétique
Les esprits monarchiques
S’échauffent, climatiques
L’air tragique
Pas de panique!
La boulê médiatique
En mer cacophonique
Noie le dauphin dynamique
Longue nage ludique,
La solution basique !
Eureka! Pour la physique!
Et la gestion cyclique
Du roi, de sa clique
Ils scandent la logique
En termes dramatiques
Et l’ecclésiastique
En huis clos fornique
Sur la douceur rythmique
De nos plaies fantastiques
Opposant à nos briques
La foi, l’as de pique
Jésus l’orthopédique
Sur la sphère boulimique
D'Eurasie en Afrique
Jusqu’à la Manic’
Flux de pensée magique
En stéréophonique
On se nique.

samedi, octobre 15, 2005


La nouvelle castaphiore ;)

mercredi, octobre 12, 2005

Miss you beautiful lies.

Le problème de nos universités est de vouloir faire science de tout feu.

lundi, octobre 10, 2005

Démagogie

TERRORISME n.m. Ensemble d'actes de violence commis par une organisation pour créer un climat d'insécurité, pour exercer un chantage sur un gouvernement ...

VIOLENCE n.f. 1 Caractère de ce qui se manifeste, se produit ou produit ses effets avec une force intense, extrême, brutale.

Conclusion : les médias sont les plus grands terroristes.

L'inconnue de la radio

Ça y est, je ne comprends plus. La terreur qui se déchaîne, et les monts qui, eux, s'enchaînent. La misère humaine, la nature qui foudroie tout, tout, et l'humain qui tente de l'imiter dans le meilleur comme dans le pire.

Il n'est plus que question de temps avant que toutes les tours s'écroulent. Et j'ai envie de scander «soyons humbles, ne soyons pas vains, soyons raisonnables et pas craints»...

... « Il me semble, je veux dire, j'ai espoir d'un monde où le capitalisme serait pas là, où la relation aux objets seraient différentes, où on voudrait moins posséder», qu'elle disait à la radio, ce matin, quand je me suis réveillé, l'inconnue, d'une voix emportée, d'une voix chevrotante, d'une voix empreinte d'impatience, et de douleur, aussi.

Et j'entends d'ici la paternalité s'écrier : «crisse de folle, encore une autre qui vit dans un monde à part. Ça marche de même, dans la vie: si t'as pas d'argent tu vas nulle part»

Et j'aurais beau m'objecter, dire que, non, attends, on recommence, on part du début. OUBLIE l'argent. Je m'entends être rabroué.

- ben ça marche pas de même.»
- Ben crisse. C'est intolérable.
- si t'es pas capable de le tolérer, pourquoi tu vas pas jusqu'au bout, quitte-le ce monde là, dit-il, probablement davantage pour me provoquer. J'espère.
- J'ai essayé. Pis c'est dommage, mais je suis encore de ce monde-ci. Alors ce que j'essaie, maintenant, c'est de me dire que si c'est ainsi, peut-être il y a une raison.

J'essaie. Mais merde! Quand la nature se mêle de tout écrouler ce que l'homme avait la décence de laisser tenir debout...

Je n'y comprends plus rien. J'ai mal.

Delete (JP)

This life has been erased by the author.


Texte écrit pour le Coïtus impromptu

vendredi, octobre 07, 2005

Questionnement existentiel

Quand on arrive au ciel, est-ce qu'on plafonne?

- Luce

je vous entends aussi....

Je t'entends comme dans un cornet de crème glacée

- Camille

mercredi, octobre 05, 2005

De la vérité du suicide.

Toute mort est collective.

Un jour où je l'ai suicidé, de verte pâture, étrange rupture, j'ai omis de vendre mes louanges à la plèbe. J'ai senti le refrain envoûtant des prairies, et pour mieux paître, je l'ai lancée à retardement sur la place publique. Ensevelissant mes aïeux de pleures naturelles, j'ai, moi, renoncé. Geste fait. J'y ai mis tout mon espoir, toute ma sotte gloire pré-moderne. Le temps d'un sourire, d'une musique douce et populaire, je l'ai suicidée, cette vie immonde et glorieuse.

Cet étrange et biscornu Être bicéphale, je l'ai troué de la flèche du devoir. Nul ne saurait me contredire. Car nul ne sait. Car nul ne fuit jamais la ludique envie de fléchir, de ruiner les décorums, car on y participe, car on participe de la connerie collective. Mais enfin, pas avant de les suicider. Je suis parricide, traître, félon, coupable d'hérésie. Une section de ma foi s'est ennuyée, d'elle-même, du temps foetus où l'air est pur, où l'air est visqueux de sincérité.

Et désormais appuyé sur l'autre, sur la tête voisine, le coeur transmis par voies anales, par voix phallusiennes, par voies régurgitatrices, par larmoiements et par sueur, le coeur transmis, dis-je, j'ai expié sa vie, à lui, l'être qui devait en avoir terminé de se leurrer devant l'histoire et la plaie béante de l'humanité. J'ai coupé son cordon comme une corde par laquelle il s'asphyxiait. Je l'ai retenu, plutôt qu'il ne tombe, je l'ai glissé sous des draps d'un confort oblique, je l'ai transmué en dérisoire bouquet mortuaire. Il faut bien se décorer d'une plume, si le pigeon nous chie continuellement sur la tête, ce n'est pas par chance, mais parce qu'on occupe son territoire, dès lors, se convertir, s'armer des ailes d'Icare et rejoindre le soleil, pour mieux brûler, pour mieux, ensuite -- et enfin -- s'éteindre en un souffle rationnel, en une obscure étincelle, dernière lueur de l'être maudit.

Et l'explosion ne survint jamais.

Je l'ai suicidé parce qu'il tanguait, et qu'on n'accepte pas de chavirer. Je l'ai suicidé parce que l'obstacle de la course, trop de fois recommencée, s'élevait devant moi sans cesse comme le haricot jusques aux cieux, et que trop lourd, trop lourd, trop lourd. Et que d'un poids inacceptable, je ne me ruais pas vers Lui, je me ruais toujours vers moi, tombant, puis mon crachat sur moi, car si je voulais monter c'était pour Lui régurgiter dessus Ses affres et Ses espoirs, semés à tout vent, offerts à toute chair.

Je l'ai suicidé pour ne pas qu'il s'intériorise, pour ne pas qu'il s'aime, pour ne pas qu'il, de coeur délaissé -- rappelons-nous comme il l'avait transmis -- pour ne pas qu'il ne sache plus que faire que de s'aimer au travers d'une transmission inverse, digne retour à son espace vital, pour ne pas qu'il se fasse attente éternelle devant l'obscur égoïsme. Voilà, je l'ai suicidé pour que moi je vive, et m'aime par moi-même, et seul, peut-être, mais aimé, de moi du moins, de moi strictement et exclusivement, de moi aimé, admiré, adoré, et sans attente de l'autre entité céphalique, ni des autres, ni de Lui.

Taureau

Et de la Chair féconde ou non, et de la chair, dodue, visqueuse, de la Chair douloureuse, entrecoupée, striée, que l’on voit puer, et que l’on sent s’ouvrir, de la Chair, je me suis séparé. De la chair du monde, de l’autre, et d’elle, aussi, sans doute, de sa chair connue. Tout ça terminé, tout ça éteint, comme un faisceau qui disparaît d’envie de croître, qui disparaît comme la grenouille qui éclate, et du bœuf qui renaît. Oui, quand la grenouille éclate, le bœuf existe davantage, et, Taureau, et, Cornu, et, Lourd de son physique et de son âme obsolète, pourtant nouvelle, laboure le sol à pieds joints, quatre par quatre, véhicule terrestre, mais rotoculteur, sonde, mais aiguille lancinant à la tension de l’épiderme. Croûte. Obstacle infranchissable. Taureau.

On ne transperce pas un taureau. On le perce. On ne transperce pas un suicidé qui renaît, on le perce, il se referme. Je l’ai suicidé, qu’il renaisse Taureau et mérite la majuscule autant que Lui, mort en même temps que lui. Tous deux morts, le corps de l’éphèbe dans ses draps obliques, et le Dieu dont il était l’apôtre : lui en bas et Lui en haut, séparés d’un haricot immense.

Ne reste que moi. Période de gestation longue. Cordon d’une longueur de haricot. Et je ne me détacherai de l’utérus fatal que lorsque j’y accrocherai une goutte de moi et que je pourrai m’aimer, à sa suite, à travers lui ou elle, nouveau, qu’à travers l’enfant et la mère.

Je ne naîtrai plus avant la procréation, car la création originale est morte, un soir de novembre, sur une musique populaire entraînante.

D’autre part, et si la question vous tourmente, oui, je crains que ce ne soit par erreur qu’il ressuscite, un soir de perdition, un soir de vengeance inconsciente, un soir où dans le corps d'une femme, à demi-conscients, je revivrai, et c'est sans doute le seul moyen; ou alors qu’il soit à jamais mort. Car il faut pour l’enfant aimer la mère. Et je sais que je n’aime plus que moi, à contre sens et modestement.

Mais je n’attends plus.
Trop longtemps j’ai vécu de ce confus espoir
De quitter, à deux, avec une, le solide, le noir
Bougie
Qui d’elle-même, consumée, s’éteint
Sur trame de pop-beat nauséeux

Et vomira demain son existence.

Mieux vaut s’armer d’amour-propre, Taureau.

DUNE CHAUVE DE TOMBOUCTOU

(rêverie plane)

Moi, moite, mort
Toi, tatie, tortue
Tus, tantôt tués
Alors, à l'heure: l'or

Nul ne nuit à l'ennui
Nous ne serons ni noceurs
Ni nus sous noirceur
Nul ne nourrit la nuit

Quand tant et tant d'amants
Dès hier destinés à derrière
En t'aimant en amants hésitants
furent fuis, fruit d'envie
Fer froid, frais d'enfer
Parti pris, fruit a fuit

Alors, à l'heure: l'or
L'heur : l'orage lorgne
Tus, tantôt tués
Froissés, frêles, foudroyés
Toi, tatie, tortue
Tendre, t'entendre tendue
Moi, moite, mort
Ma Terre, Mer, m'ignore

Solidad, seuls au sol, sales
Son sein chaud signe sous châle
La frousse éclabousse la douce
Solidad, seul ensemble, sale
Et la mer qui ruisselle :
Ses flots écument la mousse
Comme le temps quitte l'amour (Je m'en deule)
Mais l'inverse surtout

Et nous rêvons toujours (mais seul)
D'une nuit chaude à Tombouctou



Texte écrit pour le Coïtus impromptu

dimanche, octobre 02, 2005

Les vains coeurs

Je creuse les catacombes,
J'ouvrirai toutes mes tombes
Je verrai tous mes morts
Ils ne sont plus trop forts
Ils ne sont plus trop forts

Faut voir aussi les airs
Je volerai dans le tonnerre
Je verrai tous mes pairs
Ils savent bien me plaire
Ils savent bien me plaire

Et je n'oublie pas les eaux
J'y nagerai comme un sot
Je m'y noierai bientôt
Et c'est déjà trop beau
Et c'est déjà trop beau

Je ne fouille pas chez toi
Je ne voudrai pas de toi
Car je fuis le bonheur
J'en ai marre des vains coeurs
J'en ai marre des vains coeurs

Le missilaire

J'ai reçu sur la tête un missile
Une missive, un avis, une requête
Une commande de ces imbéciles
J'ai reçu sur la tête un air bête

J'ai reçu dans le dos une fléchette
Un assoiffé, une virgule, une sangsue
Un passage sous ma peau en cachette
J'ai reçu dans le dos un surplus

Je sombre, je pénombre, je flashe,
J'électrique, je débranche, je flanche,
Je grille, je bouscule, je pendule,
Je vole, je m'isole, je recule!

J'ai reçu dans la tête un grand Dieu
Un roman, une bible, un papier
Le commandant m'a sommé d'un aveu
J'ai reçu dans la tête une idée

J'ai reçu sur la terre un missile
A big bang, an earthquake, a heartbreak
They told me I shall pay the bill
J'ai reçu sur la terre, moi, un Être

Exit. 2

Tu sais pas
Combien l'heure est grave
Chaque seconde fuit les silences
Chaque seconde me brave
Et l'abime où je balance

Tu sais pas
Si les jours seront longs
Cloîtré dans la pénombre
Cloîtré dans l'abandon
En ces terres macabres

Ô! les cimetierres
Dans lesquels on erre
Sont peuplés de fantômes
De fêtards immondes
Sont peuplés de fanfarrons
Qui se multiplient dans l'onde...

Tu sais pas
Combien nous sommes malades
Et je voudrais un vaccin
Et je voudrais faire une ballade
Mais l'abime et toutes ses mains

Tu sais pas
Si je serai mort ou vif
Les dernières heures sont lourdes
Les dernières heures trop pensif
Sous ces nuées blafardes

Tu sais pas
Tu sais rien de tout ça

Wanna quit?
C'est par là.

Exit.

Tu sais pas l'angoisse,
Les journées perdues,
Les sanglort qui passent
Les révoltes déçues
Les rochers desquels je tombe
Les route qui s'innondent
Les cieux qui s'esclaffent
Les torrents qui s'éclatent
Tu sais pas,
tu sais rien de tout ça


Tu sais pas le doute
Les heures bien rongées
Le sommeil sur la route
Les souliers tout perçés
Les étalages de whisky,
Rock and coke in lost city
Les macchabées de Singapour
Les idiots sur le pourtour
Tu sais pas,
tu sais rien de tout ça

Tu sais pas ma vie
Les pas-du-tout et les riens
Les attentes et les vides
Le poids sur les reins
La guerre continuelle
No man's land all around
Les jours qui s'échouent
Et la vie éternelle ...
Tu sais pas.
Tu sais rien de tout ça.

Wanna quit?
C'est par là...

***

même la sincérité sonne pu bien. fuck ..